#165 - 14 au 20 janvier 2002
Actualités - Boeuf

Vaches folles: quand les laboratoires battent la campagne

- Tribune libre



La vache folle n'est peut-être plus ce qu'elle était...

Vache folle = prion = farines: l'équation est de plus en plus battue en brèche par certains scientifiques.

Ils accordent de plus en plus de crédit aux hypothèses d'un Britannique, Mark Purdey. Pour celui-ci, c'est plutôt du côté des effets conjoints, sur le bétail anglais, des pesticides et du manganèse, qu'il faut chercher. Si c'est vrai, les conséquences sont énormes.




Si Mark Purdey, fermier, ingénieur agronome et biochimiste anglais, arrive à prouver scientifiquement tout ce qu'il avance, il mérite le Nobel. S'il se trompe, son combat héroïque et fou lui aura mis éternellement à dos les lobbies politiques, économiques et scientifiques qu'il attaque de front depuis quinze ans et qui combattent systématiquement ses théories.

Depuis quelques mois, l'affrontement s'est intensifié: le petit éleveur atypique n'est plus seul à crier dans le désert. Et la voie royale - celle des farines animales chargées de prions anormaux d'origine ovine -, communément admise et scientifiquement suivie en laboratoire pour expliquer l'épidémie de la vache folle, voit ses détracteurs se multiplier.

Aujourd'hui, après une longue course de fond solitaire, Purdey est courtisé par les médias internationaux, cité par Le Monde, Le Midi Libre, invité par Radio-France et la BBC, aux côtés d'éminents chimistes. Il est même défendu et financé par certains hauts responsables anglais, courtisé par des chaires d'université et des groupes de spécialistes scientifiques venus étayer ses hypothèses. Pas mal pour un "petit bouseux" d'Anglais, qui s'est arrogé le droit de contester ouvertement les vérités établies par le rouleau-compresseur de la communauté scientifique.

Pour l'instant, écouté un peu partout en Europe, il poursuit ses recherches en Allemagne, à l'invitation de groupements d'éleveurs touchés par l'ESB et qui voudraient enfin comprendre. Lui ne laisse plus rien au hasard et analyse de près les sols, l'eau, le sang, les poils, l'air et la végétation des bovins. S'efforce de trouver des corrélations entre tous les endroits du monde où les cas d'ESB ou de maladies apparentées se recensent en nombre anormalement élevé. Et les invitations pleuvent, notamment en provenance des États-Unis.

Somme toute, ce petit bout d'homme fait le sale boulot que les pouvoirs publics n'ont pas pu ou pas voulu faire depuis vingt ans. Et, à entendre le bruit que provoque aujourd'hui cette "mouche parasite" dans les oreilles des coches européens, il ne fait plus de doute qu'on reparlera bientôt de l'hypothèse scientifique de Purdey dans les travées parlementaires et dans les laboratoires. Soit, pour l'écraser comme la larve qui l'a rendu célèbre ; soit, pour le porter au pinacle, tant ses intuitions et les coïncidences qu'elles révèlent sont impressionnantes.

Pourtant, nulle part, ni en Grande-Bretagne, ni ailleurs, ses allégations ne sont spontanément accueillies par les responsables en place. Au contraire. Il est vrai que, après vingt ans de catastrophes et de scandales à répétition sur le front européen de la viande, l'urne n'a que trop débordé: toute contre-vérité, même fondée, est du plus mauvais goût. Surtout quand elle met une fois encore sur le banc des accusés certaines pratiques, déjà largement dénoncées, d'un modèle agricole industriel en sursis. Et les derniers avatars sur le front de la vache folle n'arrangeront pas les choses.


"N'en jetez plus!"

"Je connais assez bien le cas "Purdey" pour avoir été chargé par la Commission européenne de rendre, dès 1998, un rapport scientifique d'opinion sur le possible lien entre l'ESB et l'utilisation des organophosphates comme pesticides pour les animaux", commente Emmanuel Vanopdenbosch, membre du Comité scientifique de la Commission européenne (DG XXIV) et du Centre belge d'Études et de Recherches vétérinaires et agrochimiques (CERVA). "Ce que nous demandons au minimum à tous les porteurs de bonne et de mauvaise nouvelle, c'est que chacun publie ses théories dans une revue scientifique reconnue, à partir de laquelle ses pairs puissent les vérifier. Jusqu'à présent, la théorie de Purdey est une hypothèse parmi d'autres. Et, ces derniers temps, elles ne cessent de se multiplier", ajoute le scientifique belge de référence.

Le 18 octobre dernier, le spécialiste et ses collègues européens du "Scientific steering Committee" devaient remettre un avis scientifique sur la possible existence d'une encéphalopathie spongiforme (TSE) transmissible par les ovins. Objectif: préparer une réunion des ministres de l'Agriculture des Quinze programmée le 22 octobre. Une mise au point toute en nuances qui se doit néanmoins d'envisager le pire : une éventuelle épidémie du mouton fou transmissible à l'homme, d'une dimension de loin supérieure en nombre et moins traçable que celle que l'Union européenne s'efforce de combattre activement aujourd'hui. On y parle notamment de possible transmission de la maladie par voie sanguine. Une théorie qui est déjà en phase de vérification en laboratoire. " Mais nous devons évidemment affiner et prolonger sur le long terme les recherches, recouper les informations ", nuance le chercheur. " Il est mathématiquement impossible, dans le scénario actuel et vu le peu de cas connus, d'avancer des certitudes scientifiques avant plus de dix ans ".

Coup de théâtre autour des dernières analyses attendues par le comité scientifique pour rendre son avis

Au même instant, un nouveau scandale vient passablement écorner la fiabilité même de la recherche expérimentale entreprise dans le dossier de la vache folle. Depuis plus de quatre ans, le gouvernement anglais dépense d'importantes sommes d'argent pour cerner cette virtuelle épidémie du " mouton fou ". Et, au bout de quatre ans, une information aussi incroyable qu'énorme vient de tomber: tout le travail est peut-être à refaire. En cause, une possible erreur dans les échantillons de base testés en laboratoire. " Mais n'allons pas trop vite pour tirer des conclusions catastrophiques ", intervient Emmanuel Vanopdenbosch, " une enquête est en cours. Pour l'instant, trois scénarios sont envisagés. Soit - l'éventualité la moins dommageable et la plus plausible - on a bien travaillé sur des tissus de mouton et toute l'expérimentation en laboratoire est valable, mais on a envoyé de mauvais échantillons pour les dernières analyses d'ADN où l'on s'est aperçu qu'il s'agissait d'ADN de bovins. Soit - éventualité inadmissible scientifiquement - on s'est trompé au départ de la recherche et on a travaillé sur des tissus de bovins au lieu de ceux d'ovins. Soit encore - et nous n'écartons pas cette piste - les responsables politiques anglais ont brouillé les cartes tellement les résultats sont préoccupants, histoire de gagner du temps. "

Dans tous les cas de figure, toute erreur à ce niveau est inadmissible. Elle met à nouveau à mal la fiabilité - ou l'honnêteté - des laboratoires chargés d'apporter un peu de clarté dans un dossier déjà largement terni par les contre-vérités, les mensonges et les omissions.


Animal, homme: même combat

Difficile, dans pareille conjoncture, de trouver déplacées les réactions de méfiance et les investigations - même empiriques - menées par des chercheurs indépendants. Et bien présomptueux de dire qui, aujourd'hui, détient la vérité sur les origines dans ces dossiers scientifiquement liés des encéphalopathies spongiformes transmissibles et de la nouvelle variante de Creutzfeldt-Jakob (nvCJD). Si l'on se place une seconde dans la peau des familles atteintes par la maladie, dont le nombre - heureusement - reste temporairement limité, on ne peut que comprendre une impatience accrue à envisager toutes les explications plausibles. Certains n'hésitent d'ailleurs pas à balayer pareillement les thèses officielles, largement répandues, qui consistent à expliquer la nvCJD par l'ingestion de tissus de bovins infectés eux-mêmes après avoir consommé des farines contaminées.


Pister le manganèse

En Grande-Bretagne, plus de 80% des cas humains recensés sont originaires de zones rurales, alors que 90% de la population habitent en ville. Or, les villes ne sont pas plus végétariennes que les campagnes. Pour Purdey, les choses sont claires: il faut pister une fois de plus le manganèse. " Les farines infectées n'ont rien à voir avec ces maladies. Les sols des zones rurales où se concentrent les malades sont carencés en manganèse, carence compensée par un épandage intensif, six à dix fois par an, d'engrais à base de manganèse liquide sous une forme très assimilable par les voies respiratoires. "

Plus fort encore, Purdey avance que des études menées simultanément en France sur les victimes de cette maladie ont indiqué la présence dans l'organisme malade d'un taux dix fois supérieur à la normale de manganèse et une déficience simultanée en cuivre, sélénium et zinc. Plusieurs produits chimiques (solvants, hormones, médicaments), ajoute-t-il, interagissent en facilitant l'absorption et l'accumulation du manganèse dans l'organisme au niveau du système nerveux.

En mars 2001, les actes d'un colloque scientifique, organisé conjointement par l'Académie des Sciences de l'Institut de France, l'Académie nationale de médecine et l'Academy of medical sciences (G-B), confirment ces observations.


Tout et son contraire

Selon le magazine français Science Frontières d'octobre dernier, la thèse officielle des farines animales se tient pourtant et peut même paraître rassurante. " Elle offre en pâture son lot de malveillances et ses zones d'ombre génératrices de soupçons. Les langues se délient peu à peu, les responsabilités s'attribuent... Pourquoi aller chercher ailleurs et autrement une explication à l'épidémie ? , s'interroge Fanny Héros.

Depuis seize ans, on a dépensé des centaines de milliards de francs pour contrer l'épidémie en prenant comme base d'attaque les farines animales. Et si Purdey a raison, c'est toute la stratégie d'éradication actuelle qui doit être repensée: la viande et les farines, les embargos à répétition, les abattages par centaines de milliers. Tout pourrait être vain et inutilement mis au ban. Qu'on puisse même émettre pareille hypothèse aujourd'hui paraît déjà surnaturel. Comme dans d'autres dossiers sulfureux, il y a urgence à fermer des portes. Définitivement.


Les scientifiques se bousculent

Y compris, peut-être, à la porte " Purdey ", de plus en plus entrouverte. Ces derniers mois, les scientifiques se penchant avec attention sur ses allégations se bousculent. En France, les professeurs André Picot, du CNRS (Centre national de Recherches scientifiques) et Michel Bounias, de l'INRA (Institut national de Recherche agronomique), loin de prendre Purdey pour un provocateur, commentent et prolongent ses recherches. Le premier remet en question l'agent causal de l'ESB (les farines), le second envisage une possible relation entre l'apparition de l'ESB en France et les traitements à l'Ivermectine, un pesticide substitut du Phosmet.

Même les scientifiques de l'AFSSA (Agence fédérale française pour la Sécurité sanitaire des Aliments) se penchent sur les allégations de Mark Purdey. S'ils remettent en cause le fondement scientifique de ces allégations et affirment qu'il n'est pas établi, ils ne réfutent pas tout à fait l'existence d'un lien entre organophosphoré et ESB.

En Grande-Bretagne, après le rapport " Prusiner ", du nom du chercheur qui les a dirigés et qui fait allusion aux théories de Purdey, c'est le biologiste David Brown, de l'université de Cambridge, qui s'est penché sur ces dernières, vérifiant si le traitement avec le pesticide Phosmet peut induire l'ESB. Si le professeur Brown confirme par ses expérimentations in vitro que les organophosphorés pointés du doigt par Purdey agissent sur la structure du prion, il infirme le fait qu'ils la rendent pathogène : la génération de cas d'ESB n'est donc pas prouvée scientifiquement si l'on se limite à l'action de ces organophosphorés. D'où la nouvelle course contre le temps de Purdey et de ses partisans pour prouver que le chaînon manquant - le facteur X -, dans la théorie qu'il a échafaudée depuis quinze ans, est bien l'effet conjugué du manganèse sur l'organisme des bovins, des humains et des autres êtres vivants susceptibles de développer des formes similaires d'encéphalopathies spongiformes transmissibles (TSE).


Un allié de poids est sorti du bois

Enfin, en 2000, un rapport en 16 volumes, réalisé par une commission présidée par Lord Phillips et intitulé "BSE inquiry" , stigmatise les nombreuses responsabilités politiques. Il y est fait état, preuves à l'appui, d'attitude hautement répréhensible de la part de plusieurs dirigeants politiques et hauts fonctionnaires britanniques.

Le 15 février dernier, un autre allié de poids sortait du bois politique : Tom King, député conservateur élu dans la circonscription de Mark Purdey, ancien secrétaire d'État à l'Environnement et à la Défense et ancien fermier, faisait ce jour-là, devant la Chambre des Communes, une longue apologie des recherches de son concitoyen doublée d'un réquisitoire : "Personne dans cette Assemblée ne devrait accepter que la théorie de Mark Purdey ne soit pas vérifiée de façon approfondie et les données rendues publiques", concluait-il. " Nous le devons à tous les éleveurs et aux familles affligées par la maladie et nous ne devons pas trouver le repos avant de cerner la cause de cette terrible souffrance. "


Philippe Coulée - Soir Magazine

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Dernière modification : 10/01/02

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