#138 - 29 juin au 06 juillet 2001
Techniques et Technologies - Boeuf

ESB.vache folle: Une autre hypothèse ?…

Le déclenchement de la maladie de "la vache folle" (ESB) a été liée à la distribution aux vaches laitières de concentrés contenant des farines de viande osseuse (FVO) (Wilesmith et al, 1988, 1991, 1992). Les troupeaux de vaches à viande, qui n'ont généralement pas leur alimentation supplémentée avec des concentrés riches en protéines, ont une incidence beaucoup moins élevée d'ESB, aussi bien en France qu'en Grande-Bretagne, ce qui conforte la théorie de l'origine alimentaire de l'ESB.

Pourtant, la distribution de protéines d'origine animale à des vaches laitières n'est pas un fait nouveau et "l'épidémie" d'ESB, qui s'est révélée en Grande-Bretagne au milieu des années 1980, ne peut pas avoir pour seule explication l'hypothèse de la présence dans la FVO d'un agent infectieux. La première mention des farines animales dans l'alimentation des ruminants rapportée dans la littérature scientifique se trouve dans un document de Paul Sanderson datant de l"année 1900! Et en 1908, Kellner mentionne l'utilisation de sous-produits d'origine animale par Coe et Brian. Vers les années 1920, la distribution de farines animales "stérilisées" aux vaches laitières hautes productrices semble une évidence et le moyen normal de couvrir les besoins élévés de ces animaux en protéines de qualité (Professor Thomas). De nombreuses publications font référence à ces utilisations dans le monde entier (USA, Grande-Bretagne, Allemagne, Hollande, Australie). Et mes souvenirs de jeune formulateur me rappellent inévitablement ce qu'en disait la "bible" des nutritionnistes de l'immédiat après-guerre, le Morrison (1st edition 1929!).

Cependant, certains ont fait remarquer que l'arrêt de l'extraction des graisses des FVO, par un solvant hydrocarboné au début des années 1980 dans nombre d'usines anglaises, pouvait avoir permis à un agent infectieux semblable à celui de la tremblante du mouton de contaminer les aliments pour vaches laitières (Wilesmith et al., 1991). Ce ne peut être la seule explication possible, comme l'a souligné Rhodes (1997), car une autre modification de l'alimentation des vaches laitières pourrait aussi expliquer l'épidémie, à savoir le recours par les éleveurs à l'utilisation de quantités plus élevées de FVO, en raison des prix élevés du soya d'importation et des farines de poisson au début des années 1980. Il y a aussi de multiples raisons de croire que le prion infestant, réputé être la cause de l'ESB, soit suffisamment résistant pour que son pouvoir infectant ait été grandement affecté par les changements intervenus dans la méthode de préparation des FVO. Taylor (1998) a d'ailleurs montré que la plupart des procédures de traitement utilisées pour la fabrication des FVO dans toute l'Union Européenne se sont révélées insuffisantes pour inactiver les agents de l'ESB et de la tremblante du mouton. Ce qui suggère qu'un facteur nutritionnel ou environnemental puisse intervenir dans certaines régions en tant que cause essentielle ou prédisposante de la maladie.

Il est curieux de noter que l'incidence géographique de la maladie de la vache folle (nombre de cas pour 1.000 têtes de bétail) ne soit pas régulièrement répartie en Grande-Bretagne et en France, même en ne tenant compte que du seul cheptel laitier, mais que, durant tout le temps de l'épidémie, elle ait sévi surtout dans les comtés du sud et de l'est de l'Angleterre (Wilesmith et al., 1991), dans le Massif Armoricain et dans les zônes laitières du Centre-Est de la France (essentiellement Loire, Rhone, Ain). Les comtés de ces régions anglaises sont bien identifiés comme ayant des carences très courantes de leurs sols et de leurs récoltes (Thornton et Webb, 1980). Le blé, l'orge et le lin sont particulièrement inefficaces pour extraire le cuivre des sols qui en sont carencés. Ce qui provoque des signes de maladie des plantes qui poussent sur ces sols : dessèchement, tiges faibles, verse, mélanose, mauvaise germination, petites graines, développement de l'ergot. Ce qui conduit à une carence en cuivre des ruminants qui les consomment avec certains symptômes bien spécifiques, comme la dépigmentation de la robe de certaines zones du corps, l'asthénie, l'anémie et surtout des troubles nerveux (swayback : ensellement). L'apport de cuivre sur le sol ou dans les rations font disparaître ces troubles chez les plantes et chez les animaux.

En Grande-Bretagne, le "swayback" est une maladie connue de longue date chez les moutons et la relation de cette maladie avec une carence en cuivre a été démontrée dans plusieurs pays. La dégénération neurologique qui en est la cause a été décrite comme une démyélinisation, mais des recherches récentes ont montré une vacuolisation de la matière blanche, la nécrose des neurones et une gliose (astrocytaire?) des régions touchées du système nerveux.

Bien qu'il n'y ait aucune preuve que l'ESB puisse se transmettre d'un animal à un autre, l'ESB a une incidence plus élevée dans certains élevages. Comme la consommation de FVO a varié probablement d'un sujet à l'autre, d'un élevage à un autre, il est possible que l'impact sur certains animaux ait été plus important dans certains exploitations que dans d'autres. Une des raisons de cet impact pourrait être qu'une alimentation riche en protéines non solubles puisse provoquer une carence en cuivre, en diminuant l'efficacité de l'absorption du cuivre par les ruminants (Rehbinder et Petersson, 1994 ; McDowell, 1985), ce qui n'étonnera pas ceux qui pensent qu'un oligo-élément n'est généralement efficace dans le traitement d'une carence que s'il se trouve dans la ration seulement sous la forme d'un sel, ou mieux encore dans un composé organique d'origine végétale.

Par ailleurs, les FVO sont des denrées riches en soufre, (et en fer aussi), et des rations contenant aussi peu que 0,4% de soufre se sont révélées contribuer à des carences en cuivre, et même provoquer des polyencéphalomyélites. Une autre raison invoquée pourrait être la présence de plomb, de cadmium ou de certains autres métaux lourds toxiques provenant de certains organes ou des os de certains sujets malades ou "déprimés". La présence du plomb dans le tissu osseux du bétail dans les régions où sévit l'ESB a été relevée par Milhaud et Mehennaoui, 1988. Un autre argument pourrait être que les rations riches en protéines soufrées mobilisent certains métaux toxiques contenus dans la quantité de terre non négligeable qu'ingèrent les animaux pâturant sur les sols contaminés et qu'on retrouve dans leur caillette. McBride, 2001, rapporte le cas de chevaux et de vaches pâturant ensemble une prairie contaminée par le plomb, et dont seuls les chevaux présentaient des signes cliniques d'intoxication par le plomb : la distribution d'un chélateur aux vaches de la prairie provoqua très vite une une intoxication par le plomb.

En Grande-Bretagne, la carence en cuivre a été prouvée depuis longtemps comme étant liée à l'apparition de la condition décrite sous le nom de"swayback" (ensellement?). Des troubles comparables ont été observés chez les cerfs et les biches à l'état sauvage (Yoshikawa et al., 1996 ; Geisel et al.). Yoshikawa a décrit les lésions du système nerveux chez les animaux carencés en cuivre, comme une "vacuolisation spongiforme et une démyélinisation de la substance blanche de la moelle épinière et du tronc cérébral". Une maladie chronique des élans du sud de la Suède est rapportée à une carence en cuivre due à un excès de molybdène du fourrage (Frank, 1998), se traduisant histopathologiquement par "l'abiotrophie du cervelet caractérisée par un amincissement marqué et une diminution du nombre des cellules de la couche granulaire, et une disparition importante des cellules de Purkinje, ne laissant pour souvenir de l'affection que des vides en forme de "paniers"(Rehbinder et al., 1991 ; Rehbinder et Petersson, 1994).

Un certain nombre de chercheurs pensent qu'une dégénération des neurones dans nombre de maladies pourrait provenir d'une carence en cuivre (Hartmann et Evenson, 1992). La maladie "des cheveux frisés" de Menke chez les bébés et les jeunes enfants est un trouble génétique rare du transport du cuivre dans l'organisme lié au chromosome-X : le cuivre y est bloqué dans certains tissus, et particulièrement dans les reins, par un métabolisme anormal de la métallothionéine (Nooijen et al., 1983 ; Hart, 1983), conduisant à des lésions irréversibles du cerveau, analogues à celles retrouvées dans le swayback du mouton (Tan et Urich, 1983). Ces lésions de destruction étendue des neurones de la matière grise du cerveau et du cervelet avec gliose associée, ainsi que la démyélisation de la moelle épinière et la disparition des cellules de Purkinje, ont été décrites par Moon et al en1987, Morgello et al. en1988, Uno et Aria en 1987, Robain et al. en1988.

Cette modification spongiforme ne semble pas pathognomonique des maladies à prions. Chez le bétail en particulier, Christian et Tryphonas (1971) ont décrit un empoisonnement chronique par le plomb se traduisant par une tuméfaction astrocytaire, le développement d'une spongiose focalisée et la nécrose des neurones. La démyélinisation de la gaine des nerfs constatée dans le swayback des agneaux se rencontre aussi dans certaines affections de la chèvre et du cerf (Obermaier et al., 1995 ; Guiroy et al., 1993), ainsi que dans la tremblante du mouton et la maladie de Creutzfeldt-Jakob (Walis et al, 1997 ; El Hachimi et al., 1998).

Je me suis toujours montré très circonpect vis à vis de la version "officielle" du mécanisme de l'ESB, cette histoire de prion qui tout à coup prend une structure en lamelles et se met à se répliquer, en s'accumulant dans les neurones en raison du fait que les enzymes de ses lyzosomes n'arrivent pas à le digérer comme elles le font d'un prion normal, après qu'il ait fait un petit voyage sur l'extérieur de la membrane du neurone, où il semble intervenir dans le mécanisme de transmission de l'influx nerveux au niveau des synapses. Cette sombre histoire de protéine qui se met à se reproduire, alors même qu'elle ne contient aucun matériel génétique (acide nucléique) bouleversait trop mes notions de cinquante années d'apprentissage de la biologie pendant lesquelles il ne m'avait jamais donné d'entendre une thèse allant à l'encontre de toutes mes notions sur la reproduction, qu'elle fut sexuée ou asexuée.

Mon passé professionnel m'orientait plutôt pour la pathogénie de l'ESB vers une déviation de la fabrication du prion normal, indispensable au fonctionnement de la cellule nerveuse, vers la fabrication d'un prion anormal incapable de remplir la fonction du premier, qui continue à se "produire" bien qu'il n'ait plus d'utilisation, en raison de son manque au niveau de la membrane qui en réclame, et qui s'accumule dans cette cellule qui n'arrive pas à le détruire (cataboliser). Cette anomalie pouvait être due à une carence en un ou plusieurs facteurs (oligoéléments ?), à un excès (un ou plusieurs métaux lourds ?), à un déséquilibre (rapport Cu/Mn modifié par exemple) ou un élément toxique bloquant un processus enzymatique de la chaîne de production empêchant l'acquisition d'une configuration spatiale donnée nécessaire à sa fonction (par exemple un organophosphoré rémanant utilisé pour lutter contre des parasites bloquant la synthèse à un stade donné).

Ce n'est que très récemment que les chercheurs se sont intéressés à la présence de métaux dans le cerveau. Cet organe est capable de concentrer certains métaux mieux que n'importe quel autre organe du corps, et on peut se demander pourquoi?

Certains d'entre eux, et en particulier Ashley Bush, psychiatre à l'Unité de Génétique et de soins aux Vieillards de l'Hôpital Général du Massachussets, à Charlestown, suspectent à présent le mauvais "maniement" des métaux par le cerveau d'être à l'origine de troubles neurologiques, en particulier ceux que l'on rencontre dans la maladie d'Alzeimer, la maladie de Parkinson et les affections à prion. Dans sa jeunesse, Bush a étudié la formation des plaques trouvées chez les patients victimes de la maladie d'Alzeimer, de ces espèces de formations de protéines qui s'accumulent à l'extérieur des neurones atteints, dans les zones du cerveau qui contrôlent les fonctions cognitives de l'organe, comme le jugement et la mémoire. Il a découvert que le premier constituant de ces plaques, une petite protéine appelée Ab, s'unit au cuivre et au zinc et que le cerveau des personnes décédées de la maladie d'Alzeimer contenait 3 à 4 fois plus de cuivre, de zinc et de fer que la normale, concentrés dans les dites plaques. Mais Colin Masters, pathologiste à l'Université de Melbourne, a suggéré que la maladie devait plutôt être dûe à un stress oxydatif, des électrons en excès endommageant les cellules nerveuses, ce que semble confirmer le groupe de Miguel Pappola, à l'Univesité de Mobile, dans l'Alabama, qui voient dans les plaques plus les témoins des combats livrés par le cerveau aux processus oxydatifs que la source des dommages causés. Mais finalement, en décembre 2000, un groupe d'études comprenant Bush et Masters a convenu que les deux théories se complètaient. Ils ont pensé qu'il pouvait se produire un "désastre oxydatif" lorsque la protéineAb s'unit au cuivre, produisant une grande quantité d'hydrogène qui tue les cellules. Tout ceci étant dû à un déséquilibre entre le cuivre et le zinc au niveau de nos cellules nerveuses.

Un des aspects les plus intéressants de la crise actuelle de la vache folle en Angleterre et en France est de montrer que l'on ne peut pas expliquer toutes les constatations faites et l'évolution de l'affection par la seule théorie "officielle". Les prions, ces protéines du cerveau, dont l'altération semble être à l'origine de l'ESB, protègent les neurones contre les propriétés oxydatives de certains métaux. Quand la protéine prion se trouve en présence de quantités insuffisantes de cuivre avec un excès de manganèse, le manganèse prend la place du cuivre et le prion (physiologique) prend une structure spatiale en lamelles (pathologique). C'est ce qu'affirme Purdey, un fermier "biologique" du Somerset, autodidacte en chimie et en biologie, ce qui lui permet de publier ses travaux dans des revues scientifiques et qui a voyagé dans toute l'Europe et aux Etats-Unis pour étudier les conditions d'apparition et de développement des maladies comparables à l'ESB. Depuis 1988, Mark Purdey soutient que les "scientifiques" ont négligé de prendre en considération les racines profondes de l'ESB. Autodidacte et se finançant personnellement, il a maîtrisé les mécanismes biochimiques complexes du fonctionnement cérébral.

Pour lui, les prions sont des protéines fabriquées par le cerveau, pour protéger le tissu nerveux des propriétés oxydatives de certains composés produits lors de la transmission de l'influx nerveux. Lorsque la protéine prion ne trouve pas suffisamment de cuivre dans le milieu où elle est élaborée, et quand il y a au contraire excès de manganèse, le manganèse prend la place du cuivre auquel le prion se lie normalement, induisant une configuration spatiale différente de la protéine produite dans ces conditions et la rendant incapable de remplir son rôle physiologique. Certains organophosphorés, utilisés sur le bétail à des doses trop élevées pour lutter contre des parasites (varron), pourraient avoir selon Mark Purdey un rôle dans cette modification métabolique, en abaissant la disponibilité du cuivre dans l'organisme.

Le fait est que la transmission de l'ESB n'a jamais été prouvée de façon satisfaisante par la théorie la plus courante. Ce n'est pas que la consommation de farines de viande et d'os provenant d'animaux infectés n'ait pas eu un rôle capital dans l'extension de la maladie. Encore que cette explication à elle seule ne permette pas de rendre compte de tous les cas de vaches infestées après que la majeure partie des aliments contaminés ait été retirée de la chaîne alimentaire. Les recherches récentes effectuées sur le nouveau variant de la maladie de Creutfeldt-Jakob, nvMCJ, publiées ces jours-ci, n'ont pas permis de trouver quelque lien que ce soit avec la consommation de viande de boeuf infectée.

Cette explication pourrait parfaitement rendre compte de la répartition de la nvMCJ, forme de la maladie chez l'homme. En Grande-Bretagne, les deux foyers recencés de nvMCJ se trouvent l'un dans le Kent, au beau milieu d'une zone productrice de fruits et de houblon, dans laquelle des quantités considérables d'organophosphorés et de fongicides à base de manganèse sont utilisées; l'autre dans le Leicestershire, à Queniborough, à moins de 100 miles du premier, dont les teintureries (jusqu'à ce qu'elles prissent feu il y a quelques années) envoyaient dans le tout à l'égoût de la petite ville certaines de leurs eaux usées qui étaient répandues sur les champs alentour. Or les teintureries utilisent des tonnes de composés à base de manganèse...

Vous pourriez penser que, quand une théorie ne marche pas, un gouvernement souhaiterait en vérifier les alternatives. Mais l'administration britannique a jusqu'à présent seulement lancé des attaques contre cette autre théorie, qui paraît mieux rendre compte des faits. Pourtant, Purdey a vérifié sa théorie sur l'ESB et la nvMCJ en Islande, au Colorado, en Slovaquie et en Sardaigne. Il y a trouvé que bêtes et gens y avaient été exposés à des carences en cuivre et des excès de manganèse. La plupart des foyers recencés se trouvent dans des zones montagneuses (roches primaires?). Mais l'argument le plus irrésistible en faveur de cette explication vient d'un article publié par une équipe de biochimistes de l'Université de Cambridge sous la direction de David Brown en l'an 2000. Ils ont découvert que la substitution du cuivre par le manganèse dans la protéine prion provoque l'apparition chez celle-ci des caractères distinctifs qui permettent d'identifier l'agent de l'ESB.

Si Mark Purdey a raison, il mérite le prix Nobel de médecine...

Mais pendant ce temps, l'AFSSA chasse... le dahu!

Auteur : Maurice Legoy, Docteur-Vétérinaire
Dernière modification : 04/09/01

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